You’ve changed
Groupe et individu, abstrait et concret, forme et informe, résultat et processus. En explorant ces champs de tension dans son œuvre chorégraphique insoumise et sophistiquée, Thomas Hauert développe une véritable micro-politique du corps.
La matrice de You’ve changed est une chorégraphie qui se déploie sans l’intervention d’une autorité centrale. Elle forme un système intégré dynamique au comportement imprévisible, au sein duquel certain.e.s danseur.euse.s initient un mouvement et d’autres réagissent à celui-ci, cette réaction déclenchant un autre mouvement à l’intérieur de la même structure ou initiant un tout nouveau développement. Puisant librement dans un répertoire partagé de principes physiques incorporés pendant un long processus de création, les danseur.euse.s sont responsables de l’invention et de l’exécution de leur propre mouvement sur scène, mais aussi de la création et du développement des structures de groupe. Iels doivent adapter leur rôle individuel au sein d’une constellation dynamique dont les mécanismes se transforment en permanence. Virtuose. Et un véritable défi. Mais également un puissant « statement » : les capacités cognitives d’un tel système dépassent de loin la simple somme des capacités individuelles des danseur.euse.s. Pour une large part, il repose sur l’intuition – comme Hauert le souligne, une faculté neurophysiologique susceptible d’être développée par l’expérience.
Comme dans une réaction en chaîne, cette chorégraphie improvisée a servi de base pour la création d’une vidéo, puis d’une musique, puis d’une autre musique, puis d’une autre improvisation, puis de lumières, toutes ces propositions se répondant finalement mutuellement sur scène. Ici, en d’autres mots, une chorégraphie auto-structurée devient la structure sur laquelle tout le reste s’appuie : le processus créatif de décision individuelle, avec ses imperfections, comme fondement d’un spectacle polyphonique d’une grande complexité. On pourrait voir dans ce projet une quête de forme à une époque où la forme suscite – peut-être à juste titre – la méfiance en raison de son caractère arbitraire, autoritaire et simplificateur. Thomas Hauert n’invente pas des formes mais des processus qui ont un inhérent « désir de forme ».
La relation entre la danse et la musique est une dimension que Hauert explore sans relâche depuis le début de sa carrière. Dans Accords (2008), par exemple, les danseur.euse.s « se greffaient » sur des pièces musicales existantes en jouant de leurs corps comme d’instruments, la musique étant rendue « visible » par un réseau complexe d’actions et de réactions individuelles et supra-individuelles. Dans You’ve changed, au contraire, le mouvement précède la musique. Plus encore, c’est la musicalité inhérente du mouvement qui a servi de base pour la composition musicale. Thomas Hauert a demandé à Dick van der Harst, artiste en résidence chez LOD et célèbre entre autres pour ses collaborations avec les metteurs en scène Alain Platel et Eric De Volder, de composer une musique originale sur une danse proposée par les performer.euse.s de ZOO – et filtrée par le médium de la vidéo. Ecrite pour un petit « rock band » et trois chanteuses, cette musique a à son tour servi de matériel à Peter Van Hoesen, qui l’a interprétée par des moyens digitaux pour composer des morceaux électroniques. Les deux univers musicaux, l’analogue et le digital, sont connectés l’un à l’autre et aussi, d’une certaine manière, au mouvement sur scène – par un processus d’influence mutuelle.
You’ve changed témoigne d’un véritable amour pour la danse comme forme, comme langage, comme technique. C’est une pièce physique à expérimenter de façon très directe. Le plaisir de la danse. Mais c’est aussi plus que cela. Un des fondamentaux du travail de Thomas Hauert est qu’il préserve la liberté des performer.euse.s comme des spectateur.rice.s. Touchant à la relation entre la liberté individuelle et la cohésion sociale, You’ve changed réactive depuis une perspective contemporaine des questions qui ont une longue histoire. Viennent à l’esprit, en particulier, les expériences culturelles utopiques des années 1960-70, un moment d’articulation où les rêves d’ingénierie sociale du modernisme s’effondrent sous les attaques d’une vision nouvelle, postmoderne, du « sujet ». La période, aussi, où ont pris place dans le champ de la danse des expérimentations qui se réverbèrent encore aujourd’hui dans un travail comme celui de ZOO. Mais depuis ce temps, l’eau a coulé et les miroirs se sont brisés… Le nouveau spectacle de Thomas Hauert pourrait nous inviter à nous poser cette question : en quoi avons-nous changé ?
Concept & direction Thomas Hauert
Créé & interprété par Thomas Hauert, Fabián Barba, Liz Kinoshita, Albert Quesada, Gabriel Schenker, Theodossia Stathi, Gabor Varga, Samantha van Wissen
Musique Dick van der Harst
Paroles Paola Bartoletti
Musiciens Dick van der Harst, Inez Carsauw, Lander Gyselinck, Jouni Isoherranen, Els Van Laethem, Simone Vierlinger
Lumière & scénographie Jan Van Gijsel
Composition musique électronique & régie Peter Van Hoesen
Costumes OWN
Production ZOO/Thomas Hauert
Coproduction Alkantara festival, Lisbon (PT) / Kunstenfestivaldesarts, Brussels (BE) / La Bâtie – Festival de Genève (CH) / Kaaitheater, Brussels (BE) / Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine (FR) / LOD, Ghent (BE) / Centre chorégraphique national de Franche-Comté à Belfort (FR) / Theaterhaus Gessnerallee, Zurich (CH) / Dampfzentrale, Bern (CH) / NXTSTP, with the support of the Culture Program of the European Union