modify
Improvisation libre et règles du jeu strictes, bande son baroque et décors aux couleurs acidulées…modify affirme une vision personnelle et raffinée de la danse. Un spectacle-kaléidoscope où la richesse d’expression propre au mouvement est célébrée au fil d’une heure de transformation débridée.
A l’origine du nouveau spectacle de Thomas Hauert et de sa compagnie ZOO, deux points de départ : d’un côté, une recherche de matériel de mouvement aussi ouverte que possible et non entravée par la soumission à un contenu préalable ; de l’autre, la volonté de travailler sur une musique existante, imposée comme une force extérieure, avec son rythme, sa mélodie, ses harmonies… C’est à partir de cette confrontation entre liberté et contrainte, un thème central du travail de ZOO, que le projet s’est intuitivement développé dans sa forme comme dans son contenu. Cette tension se retrouve à tous les niveaux du projet.
Dans le processus de création d’abord : pour Thomas Hauert, l’intuition permet d’obtenir des résultats beaucoup plus complexes et inattendus qu’un processus basé sur une verbalisation initiale. Ainsi, le chorégraphe laisse volontairement ses projets très ouverts, conscient que la rencontre entre son initiative et celle des autres danseur.euse.s débouchera sur un résultat imprévisible. De même pour la signification du spectacle : forme et contenu, matériel chorégraphique et portée symbolique se développent parallèlement, en un lien organique, sans que l’on puisse vraiment affirmer que l’un a précédé l’autre. Le sens émerge progressivement à partir de préoccupations latentes qui trouvent à s’exprimer dans le travail sur le mouvement. Pour le chorégraphe, la prise de conscience d’une intention n’implique pas forcément la capacité à la verbaliser, et peut même précéder cette verbalisation. On peut “savoir” sans pouvoir “expliquer”.
A l’intérieur du matériel chorégraphique ensuite : différents systèmes ont été élaborés pour développer du mouvement, impliquant souvent l’idée de forces et de la rencontre entre forces intérieures et extérieures. Une des directions a par exemple consisté à travailler sur une mécanique spécifique de transmission de forces d’un corps à l’autre. Il s’agissait de voir comment six corps en mouvement peuvent s’unir pour former une nouvelle entité avec une mécanique spécifique.
Si cette méthode implique le transfert de forces par des corps en contact, une autre a concerné la possibilité d’unir les six corps à distance, par l’utilisation de déplacements régis par un système. Cette recherche, déjà amorcée dans les spectacles précédents de la compagnie, a trouvé ici un développement supplémentaire par l’application d’une organisation particulièrement complexe mettant en jeu un réseau de fils à points fixes et mobiles reliant tous les danseur.euse.s. Inhérente à la volonté esthétique de créer une unité dans la diversité, un ordre régi par des lois d’une complexité maximale, une cohérence que l’on peut ressentir sans la comprendre, cette recherche a aussi une signification métaphorique très forte : le mouvement de chaque corps est influencé par celui des autres ; à l’intérieur d’un système contraignant et d’un ensemble de relations mutuelles, il existe toujours une place pour l’initiative personnelle, le choix.
Une troisième direction a entraîné le groupe dans une exploration de la tension entre intuition et verbalisation. Les danseur.euse.s ont cherché, de façon très libre, des qualités de mouvement auxquelles ont été, dans un deuxième temps, appliqués des noms à valeur descriptive. A partir de là, plusieurs tâches ont été données consistant à recréer et à manipuler ces qualités, par exemple en combinant les mots correspondants. Encore une fois, cette recherche part du principe que le corps comme outil d’improvisation permet d’atteindre une complexité beaucoup plus grande que des mouvements fixés, limités par les capacités de verbalisation et de compréhension du cerveau. On retrouve aussi ici la conviction centrale de Thomas Hauert que le corps n’est pas toujours une personne mais peut également être utilisé comme un outil neutre, un vocabulaire, pour transmettre une signification. Loin de la théâtralité, ce n’est pas l’individu qui communique, mais le corps lui-même.
Le sens contenu sous forme latente dans cette recherche fondamentale sur le mouvement et dans la méthode d’élaboration du spectacle s’élargit et s’amplifie dans les autres éléments scéniques. Le choix musical s’est porté sur les Psalms of Repentence d’Alfred Schnittke ainsi que sur la Music for the Royal Fireworks et la Water Music de Georg Friedrich Haendel. Ces pièces ont été choisies pour leurs qualités musicales intrinsèques, leur beauté, mais aussi pour leur portée symbolique : la première pourrait évoquer le pouvoir religieux, les autres le pouvoir séculaire qui s’exercent sur notre civilisation occidentale. Signée par l’artiste Manon De Boer, la photographie de fond de scène, qui constitue le décor, représente une chambre. Au lit, lieu des expériences à la fois les plus intimes et les plus existentielles, s’oppose la masse des objets divers accumulés au cours de la vie comme autant de souvenirs.
La photographie visuellement chaotique, plus grande que nature, et la musique très imposante pour un plateau de six danseur.euse.s, jointes aux lumières de Jan Van Gijsel et aux costumes de Jeremy Dhennin et Laurent Edmond créent une surabondance baroque de sensations, dans une volonté de noyer la·le spectateur.rice dans l’information, de la.le désorienter, de déborder ses capacités mentales pour l’inviter à aborder la pièce de façon plus intuitive.
Modify a reçu le Prix Suisse de la danse 2005.
Concept & direction Thomas Hauert
Créé & interprété par Thomas Hauert, Lisa Gunstone, Martin Kilvady, Sara Ludi, Chrysa Parkinson, Mat Voorter
Casting orginal Thomas Hauert, Martin Kilvady, Mark Lorimer, Sara Ludi, Chrysa Parkinson, Ursula Robb
Musique Alfred Schnittke, Georg Friedrich Haendel, Aliocha Van der Avoort
Lumière Jan Van Gijsel
Visuel Manon de Boer
Costumes Laurent Edmond, Jeremy Dhennin
Technique Jan Van Gijsel, Herman Venderickx
Production ZOO/Thomas Hauert
Coproduction Théâtre de la Ville – Paris (FR) / Kaaitheater – Brussels (BE) / Tanzquartier – Vienna (AT)
Support Vlaamse Gemeenschap / Vlaamse Gemeenschapscommissie / Pro Helvetia / Ein Kulturengagement des Lotterie-Fonds des Kantons Solothurn / SACD
Remerciements STUK, PARTS, Rosas, Needcompany, Ultima Vez, Thierry Lewyllie, Mark Leys, Denis Laurent, Mat Voorter, Samantha van Wissen, Pascale Gigon