Jetzt
Jetzt est une étude sur le mouvement entre la chute et l’atterrissage et sur le potentiel créatif du corps en état d’instabilité. Les rythmes trébuchants et les séquences harmoniques surprenantes de Thelonious Monk en forment la contrepartie musicale.
Aucun pas ne ressemble à un autre
Dans les pièces d’Hauert, on voit se combiner un matériel gestuel très strictement structuré et des mouvements improvisés. Selon les propos du créateur, “l’improvisation n’est pas qu’un instrument de travail pendant les répétitions. Elle est également intégrée au spectacle. Je suis en effet persuadé que le corps peut trouver par le biais de l’improvistion des schémas de mouvements très complexes que l’on ne pourrait jamais concevoir au préalable, isolément. Il faut oser aller très loin dans l’improvisation, et dépasser la limite circonscrivant les mouvements normaux auquels le corps est habitué.”
L’idée s’illustre à merveille dans Jetzt, sa dernière création présentée en première en janvier dernier, au Lucerntanz, où Hauert était en résidence. La danse y est composée de façon à la fois extrêmement rigoureuse et imprévisible.
Entre forme et dissolution
Jetzt, soit “maintenant”. Le titre n’aurait pas pu renvoyer plus clairement au moment présent. Et Thomas Hauert y puise d’ailleurs largement. Tout en respectant des lois établies, les danseurs semblent suivre des mouvements d’humeur instantanés – portés par leur souffle, par une impulsion qu’ils semblent ne pas pouvoir freiner, et qui répond à la musique jazz de Thélonious Monk. Musique extraordinairement dansante, et référence curieusement rare des spectacles de danse. Mouvement et musique entretiennent dans Jetzt une relation on ne peut plus harmonieuse, dont il se dégage une puissante force évocatrice. La musique de Monk n’apparaît ni narrative, ni illustrative: elle suit son propre chemein, sous-tend la danse – et le chorégraphe ne manque pas de lui rendre hommage.
Les danseurs chancellent, tourbillonnent, traversent la salle, chutent puis se redressent, hésitent entre force centrifuge et pesanteur. Car Thomas Hauert et sa troupe ne se contentent pas de sonder le mécanisme corporel de l’articulation et du muscle, ils jouent avec le poids de certaines parties de l’anatomie, cherchant le moyen d’échapper momentanément à la gravité. Les images et les films projetés participent de la même recherche – images vacillant à l’arrière-plan, ou sur un écrin de lin blanc, découpées parfois, parfois altérées. Le corps devient l’instrument mobile d’une jonction entre art et nature, artificiel et naturel. Les attitudes évoquent tantôt un espace limité ou illimité.
Ironie de l’inéluctable
Aucun pas ne ressemble à un autre. Telle est la magie de Jetzt. La façon dont les danseurs tanguent les uns à côté des autres, traversent l’espace ou s’assemblent comme les pièces d’un mécanisme donne parfois l’impression d’une froide étude de mouvements. Or il se développe – et de manière insoupçonnée – une belle forme d’humour et d’ironie. Les articulatiosn deviennent plus souple, les muscles réagissent plus vite, le sang s’échauffe, et le goût du risque plane. Sur la musique de Monk, la danse deveint une promenade décontractée, un jeu badin avec la vitesse. Les danseurs se calent les uns contre les autres comme des enfants récalcitrants, le corps trébuche sur lui-même. Le tout est brillamment arrangé – et dansé de manière étonnante.
Eva Bucher
(traduction Tania Watzlawski)
Concept & direction Thomas Hauert
Créé & interprété par Mark Lorimer, Sara Ludi, Mat Voorter, Samantha van Wissen, Thomas Hauert
Scénographie Simon Siegmann
Lumière Guy Peeters
Video Girls in the garden
Costumes Carine Lauwers
Musique Thelonious Monk
Production ZOO/Thomas Hauert
Coproduction Luzerntanz (CH) / Brussels 2000 (BE)
Support Ministerie van de Vlaamse Gemeenschap, administratie Cultuur, afdeling Muziek, Letteren, Podiumkunsten and of the Vlaams Gemeenschapscommissie
Remerciement Kaaitheater, Bruxelles