Cows in Space

re-run, 2008

En 1997, Thomas Hauert fonde la compagnie ZOO. Avec quatre ami.e.s danseur.euse.s, Mark Lorimer, Sara Ludi, Samantha van Wissen et Mat Voorter, il initie le projet Cows in Space, dont la première a lieu à Courtrai en février 1998. Le succès est immédiat : couronné par le Prix d’auteur et le prix Jan Fabre aux prestigieuses Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, le spectacle sera présenté sur de nombreuses scènes belges et internationales, même au Japon. ZOO reprend la pièce pour le dixième anniversaire de création de la compagnie.

« Soit des vaches broutant vues à travers la vitre d’un train en marche. Tout immobiles qu’elles soient, leur disposition dans l’espace crée un jeu fascinant d’agencements, d’intervalles et de vitesses, combinés avec la perspective et la vitesse du train où se trouve la.le voyageur.euse. Les vaches évoluent dans le cadre de la fenêtre selon des règles bien précises. De cette observation est née l’idée d’utiliser le principe contenu dans ce phénomène comme outil de composition, en créant une illusion d’optique où ce n’est pas le public qui passe devant une formation statique, mais les danseur.euse.s qui recréent sur scène un semblant de mouvement. »

Dix ans plus tard…

D’emblée, Cows in Space articule les préoccupations au cœur du travail ultérieur de ZOO : l’exploration des possibilités de mouvement du corps humain, en dehors des habitudes culturelles et esthétiques, et la coordination d’un groupe de corps en mouvement perçu comme un seul organisme vivant.

A l’incitation de Thomas Hauert, les danseur.euse.s entreprennent de sortir des habitudes inscrites dans leur corps. Chaque articulation a ses possibilités de mouvement et la combinaison de ces mouvements isolés peut prendre une quasi infinité de formes. Dans un esprit de recherche ludique, les danseur.euse.s explorent la plus grande diversité possible de formes, de rythmes, de qualités, d’interactions avec l’espace et avec les forces extérieures. ZOO tire son nom d’un livre que le groupe a utilisé pour nourrir sa recherche. Il suggère une observation de l’homme considéré en tant qu’espèce animale – variété étrange, certes. L’homme libéré de la culture, donc.

Une des principales méthodes utilisées pour ouvrir les possibilités de mouvement est l’improvisation, perçue comme un moyen de libérer le potentiel du corps des limites de l’esprit. Non une improvisation totalement libre, car un corps sans contrainte tendrait à emprunter les chemins les plus confortables, mais une improvisation dirigée, une improvisation dans laquelle des tâches, des règles, des forces sont imposées pour briser les conditionnements du.de la danseur.euse. Ainsi en est-il par exemple des « solos assistés » où les mouvements d’un corps sont créés par trois corps : celui du « soliste » et ceux des « assistant.e.s » qui agissent sur lui.

Il ne s’agit pas seulement de déconstruire, de casser les formes et les codes, mais plutôt d’atteindre le degré zéro du corps pour construire en prenant l’anatomie comme base. Car, après s’être temporairement extirpé.e.s des schémas habituels de mouvement, les danseur.euse.s de ZOO s’efforcent d’inscrire de nouveaux paramètres dans leur corps. Les principes sont pratiqués, encore et encore, pour qu’en puissent être développées toutes les possibilités et les subtilités. Pour atteindre, en quelque sorte, une nouvelle virtuosité. Car le corps aussi a besoin de temps pour apprendre. L’impression initiale de désordre que peut ressentir la.le spectateur.rice est liée à ses propres conditionnements : en vérité, chaque proposition de ZOO constitue un système de mouvement cohérent, un système alternatif aux systèmes connus –et reconnus–, mais développé avec la plus grande rigueur. La scène n’est pas la vie et la danse a la liberté d’y créer des mouvements qui ne répondent à aucune utilité pratique. Thomas Hauert vise à nourrir une complexité maximale tout en la canalisant dans une structure.

Dépassant l’échelon individuel, Cows in Space développe aussi un travail sur le groupe, sur le « corps » composé par l’ensemble des danseurs – on pourrait dire « le corps social ». Si l’exploration du corps individuel tend vers l’expression de la diversité – le chaos –, le travail sur le groupe tend vers la cohésion, la communication, le lien – l’ordre. Thomas Hauert coordonne les corps des cinq danseur.euse.s de Cows in Space par différents moyens d’organisation du temps (notamment par le biais de la musique, ici composée par John Adams, Bart Aga, Alex Fostier) et d’organisation de l’espace. Jouant de facteurs comme les positions relatives, les trajectoires et les vitesses de mouvement des danseur.euse.s – les « vaches dans l’espace » –, les systèmes d’organisation spatiale créent des champs de tension dans l’espace entre les danseur.euse.s. Très complexes, ils ne peuvent être saisis intellectuellement par la.le spectateur.rice, qui perçoit un organisme mû par des lois d’évolution organique plutôt que par une logique mécanique. Pourtant, ces déplacements sont rigoureusement écrits, car leur complexité ne permettrait pas de les calculer dans l’instant. Dans les spectacles ultérieurs de ZOO, les principes d’organisation spatiale, sans cesse raffinés, deviendront de plus en plus flexibles et réactifs, privilégiant un ordre garanti par la confiance que chaque danseur.euse place en les autres plutôt que par l’autorité.

Cette idée de confiance, centrale dans le projet chorégraphique de ZOO, se traduit aussi dans la structure et le processus de travail de la compagnie. ZOO se définit comme un collectif où chaque danseur.euse apporte sa propre créativité au groupe. Où chaque danseur.euse est libre mais aussi responsable. La structure n’est pas pour autant horizontale : aux réalités individuelles de chacun.e se superpose une réalité partagée, celle proposée par Thomas Hauert. Et cette confiance commune dans la proposition initiale est essentielle au projet : elle permet d’accepter le chaos apparent du processus. L’inconfort que l’absence d’ordre – ou d’autorité – génère devient confort quand on accepte le fait qu’on ne peut pas tout contrôler et que le lâcher prise permet d’atteindre une complexité bien plus riche que ce que la raison consciente pourrait gérer.

Dans Cows in Space, la danse est abstraite en ceci qu’elle est un pur travail sur le corps et le mouvement. Elle n’a pas de dimension narrative ou figurative. Pourtant, les spectateur.rice.s ne ressentent pas le spectacle comme abstrait. C’est que si la danse n’illustre rien, elle propose un modèle qui est, lui, potentiellement riche de sens. Le projet artistique apparaît comme une micro-utopie, une vision alternative de l’homme, du pouvoir et de la société, une vision avant tout généreuse. « Who are you to tell me what to do », chantera Thomas Hauert dans Walking Oscar (2006). Question qui répond au «Pour t’aimer, je prends le risque de tomber» de Do You Believe in Gravity ? Do You Trust The Pilot ? (2001).

Denis Laurent, 2007

Concept & direction Thomas Hauert
Casting original Thomas Hauert, Mark Lorimer, Sara Ludi, Samantha van Wissen, Mat Voorter
Créé & interprété par Thomas Hauert, Mark Lorimer/Martin Kilvady, Sara Ludi, Samantha van Wissen, Mat Voorter
Lumière & scénographie Simon Siegmann
Composition originale Bart Aga Sambal Oelek en collaboration avec Alex Fostier)
Musique John Adams, Shaker Loops
Costumes OWN
Production ZOO/Thomas Hauert
Coproduction: Dans in Kortrijk, Courtrai (BE) / De Beweeging, Anvers (BE) / Charleroi Danses (BE)
Résidences Danswerkplaats, Kortrijk / Plateau, Bruxelles

25 Septembre 2007
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25 Janvier 2008
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26 Janvier 2008
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